mardi 28 août 2012

L'UNIVERS de "TERRE D'ENFANCE" / 7 : les livres...

Il n'est pas question, dans "Terre d'enfance", de ce livre, lu comme beaucoup de petites filles de cet âge -là, mais le passage qui suit - extrait des "Malheurs de Sophie" de la Comtesse de Ségur - a eu sur moi un immense impact, conscient et inconscient, jusqu'à nos jours.

Lisez plutôt :

"Enfin Sophie fut habillée, peignée, et elle put courir chez sa maman.
« Te voilà de bien bonne heure, Sophie, dit la maman en souriant. Je vois que tu n’as pas oublié tes quatre ans et le cadeau que je te dois. Tiens, voici un livre, tu y trouveras de quoi t’amuser. »
Sophie remercia sa maman d’un air embarrassé, et prit le livre, qui était en maroquin rouge.
« Que ferai-je de ce livre ? pensa-t-elle. Je ne sais pas lire ; à quoi me servira-t-il ? »
La maman la regardait et riait.
« Tu ne parais pas contente de mon présent, lui dit-elle ; c’est pourtant très joli ; il y a écrit dessus : les Arts. Je suis sûre qu’il t’amusera plus que tu ne le penses. »
Sophie.
Je ne sais pas, maman.
La Maman.
Ouvre-le, tu verras. »
Sophie voulut ouvrir le livre ; à sa grande surprise elle ne le put pas ; ce qui l’étonna plus encore, c’est qu’en le retournant il se faisait dans le livre un bruit étrange. Sophie regarda sa maman air étonné. Mme de Réan rit plus fort et lui dit :
« C’est un livre extraordinaire ; il n’est pas comme tous les livres qui s’ouvrent tout seuls ; celui-ci ne s’ouvre que lorsqu’on appuie le pouce sur le milieu de la tranche. »
La maman appuya un peu le pouce ; le dessus s’ouvrit, et Sophie vit avec bonheur que ce n’était pas un livre, mais une charmante boîte à couleurs, avec des pinceaux, des godets et douze petits cahiers, pleins de charmantes images à peindre. 
« Oh ! merci, ma chère maman, s’écria Sophie. Que je suis contente ! Comme c’est joli !"
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" Elle mit la boîte à couleurs sur une petite table. Sur une autre table elle arrangea les six tasses, et au milieu elle mit le sucrier, la théière et le pot à crème.
« À présent, dit-elle, je vais faire du thé. »
Elle prit la théière, alla dans le jardin, cueillit quelques feuilles de trèfle, qu’elle mit dans la théière ; ensuite elle alla prendre de l’eau dans l’assiette où on en mettait pour le chien de sa maman, et elle versa cette eau dans la théière.
« Là ! voilà le thé, dit-elle d’un air enchanté ; à présent je vais faire la crème. » Elle alla prendre un morceau de blanc qui servait pour nettoyer l’argenterie ; elle en racla un peu avec son petit couteau, le versa dans le pot à crème, qu’elle remplit de l’eau du chien, mêla bien avec une petite cuiller, et, quand l’eau fut bien blanche, elle replaça le pot sur la table. Il ne lui restait plus que le sucrier à remplir ; elle reprit la craie à argenterie, en cassa de petits morceaux avec son couteau, remplit le sucrier, qu’elle posa sur la table, et regarda le tout d’un air enchanté.
« Là ! dit-elle en se frottant les mains, voilà un superbe thé ; j’espère que j’ai de l’esprit ! Je parie que Paul ni aucune de mes amies n’auraient eu une si bonne invention… »
Sophie attendit ses amies encore une demi-heure, mais elle ne s’ennuya pas ; elle était si contente de son thé, qu’elle ne voulait pas s’en éloigner ; elle se promenait autour de la table, le regardant d’un air joyeux, se frottait les mains et répétait :
« Dieu ! que j’ai de l’esprit ! que j’ai de l’esprit ! » Enfin Paul et les amies arrivèrent. Sophie courut au-devant d’eux, les embrassa tous et les emmena bien vite dans le petit salon pour leur montrer ses belles choses. La boîte à couleurs les attrapa d’abord comme elle avait attrapé Sophie et sa bonne. Ils trouvèrent le thé charmant et voulaient tout de suite commencer le repas, mais Sophie leur demanda d’attendre jusqu’à trois heures. Ils se mirent donc tous à peindre les images des petits livres : chacun avait le sien. Quand on se fut bien amusé avec la boîte à couleurs et qu’on eut tout rangé soigneusement :
« À présent, s’écria Paul, prenons le thé. »
— Oui, oui, prenons le thé, répondirent toutes les petites filles ensemble.
Camille.
Voyons, Sophie, fais les honneurs.
Sophie.
Asseyez-vous tous autour de la table… Là, c’est bien… Donnez-moi vos tasses, que j’y mette du sucre… À présent le thé,… puis la crème… Buvez maintenant.
Madeleine.
C’est singulier, le sucre ne fond pas.
Sophie.
Mêle bien, il fondra.
Paul.
Mais ton thé est froid.
Sophie.
C’est parce qu’il est fait depuis longtemps.
Camillegoûte le thé et le rejette avec dégoût.
Ah ! quelle horreur ! qu’est-ce que c’est ? ce n’est pas du thé, cela !
Madeleinele rejetant de même.
C’est détestable ! cela sent la craie. 
Paulcrachant à son tour.
Que nous as-tu donné là, Sophie ? C’est détestable, dégoûtant.
Sophieembarrassée.
Vous trouvez…"

Autre lecture, si marquante...roman autobiographique, roman onirique, roman d'adolescence, roman du terroir...




"Le domaine mystérieux"


Dès le petit jour, il se reprit à marcher. Mais 
son genou enflé lui faisait mal ; il lui fallait 
s’arrêter et s’asseoir à chaque moment tant la 
douleur était vive. L’endroit où il se trouvait était 
d’ailleurs le plus désolé de la Sologne. De toute 
la matinée, il ne vit qu’une bergère, à l’horizon, 
qui ramenait son troupeau. Il eut beau la héler, 
essayer de courir, elle disparut sans l’entendre. 
Il continua cependant de marcher dans sa 
direction, avec une désolante lenteur... Pas un 
toit, pas une âme. Pas même le cri d’un courlis 
dans les roseaux des marais. Et, sur cette solitude 
parfaite, brillait un soleil de décembre, clair et 
glacial. 
Il pouvait être trois heures de l’après-midi 
lorsqu’il aperçut enfin, au-dessus d’un bois de 
86sapins, la flèche d’une tourelle grise. 
– Quelque vieux manoir abandonné, se dit-il, 
quelque pigeonnier désert !... 
Et, sans presser le pas, il continua son chemin. 
Au coin du bois débouchait, entre deux poteaux 
blancs, une allée où Meaulnes s’engagea. Il y fit 
quelques pas et s’arrêta, plein de surprise, troublé 
d’une émotion inexplicable. Il marchait pourtant 
du même pas fatigué, le vent glacé lui gerçait les 
lèvres, le suffoquait par instants ; et pourtant un 
contentement extraordinaire le soulevait, une 
tranquillité parfaite et presque enivrante, la 
certitude que son but était atteint et qu’il n’y avait 
plus maintenant que du bonheur à espérer. C’est 
ainsi que, jadis, la veille des grandes fêtes d’été, 
il se sentait défaillir, lorsque à la tombée de la 
nuit on plantait des sapins dans les rues du bourg 
et que la fenêtre de sa chambre était obstruée par 
les branches. 
– Tant de joie, se dit-il, parce que j’arrive à ce 
vieux pigeonnier, plein de hiboux et de courants 
d’air !... 


La fête étrange


"Après cette fête où tout était charmant, mais
fiévreux et fou, où lui-même avait si follement 
poursuivi le grand pierrot, Meaulnes se trouvait là 
plongé dans le bonheur le plus calme du monde. 
Sans bruit, tandis que la jeune fille continuait 
à jouer, il retourna s’asseoir dans la salle à 
manger, et, ouvrant un des gros livres rouges 
épars sur la table, il commença distraitement à 
lire. 
Presque aussitôt un des petits qui étaient par 
terre s’approcha, se pendit à son bras et grimpa 
sur son genou pour regarder en même temps que 
lui ; un autre en fit autant de l’autre côté. Alors ce 
fut un rêve comme son rêve de jadis. Il put 
imaginer longuement qu’il était dans sa propre 
maison, marié, un beau soir, et que cet être 
charmant et inconnu qui jouait du piano, près de 
lui, c’était sa femme... "

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