A s'y perdre un peu...
A vous, chère lectrice, cher lecteur, d'y trouver votre fil d'Ariane.
Alors, mettez dans vos haut-parleurs "Echoes"
https://www.youtube.com/watch?v=uJtw7SP0oN4&feature=youtu.be
et lisez ceci :
Concerto (déconcertant) en quatre saisons et une fugue.
L'été (origine).
Étouffée,
s'étouffer. Le visage de la mère qui rougit, crie, suffoque et le
sien essayant de trouver l'issue, de se détacher.
Sa
mère avait toujours occulté l'instant de sa naissance ; il avait
fallu questionner, enquêter et surtout deviner ; reconstituer le
contexte, l'âge; pourquoi si tard ? Pourquoi entendre parler du
frère et de la sœur en termes si heureux, élogieux ?
L'étrangeté
de cette venue au jour a toujours été tapie au fond de son être
durant des années, et s'est transformée à l'âge de raison en une
conviction : celle d'être fille de châtelains, un jour errant dans
ce lieu, l'abandonnant sans motif dans cette famille paysanne, rustre
et la frustrant à vie de ses nobles origines, pourtant si évidentes.
On
ne lui mentait pas puisqu'elle savait.
Il
s'agissait plutôt là de secrets,
de
l'arrière des choses.
Automne (premier
amour).
Tout
et rien. Comme les vagues de la mer ou la marée montante, sa
première rencontre sur le ferry, avait tout et rien façonné de ses
dernières années d'adolescente.
Recherche
éperdue de l'idéal amoureux incarné dans le regard myope, profond
et troublant du jeune homme brun. Les premiers émois : purs ?
Éblouie ? Pas sur le moment où ils se vivaient juste. Mais ainsi
refaits par les 30 ans de mémoire composée. L'absolu du désir
envahissant, le chagrin de l'éloignement, la vie commune si peu
commune.
Elle
avait longtemps après confronté les souvenirs : la mémoire si
différente, si décalée, les phrases oubliées par l'un, les
retrouvailles ignorées de l'autre. Que restait-il d'eux, des
décennies après? Des bribes du temps reconstituées, jamais
décomposées, souvenirs roulés par les vagues sur les galets de la
plage, face à l'horizon de leurs vies décalées, de leurs êtres
sapés par tant d'années.
Seule
la voix reste intacte.
Ils
s'étaient retrouvés en Normandie, sur cette plage du débarquement,
lui, rentrant de Floride, elle, se rendant à Londres auprès de sa
fille. Était-ce à Deauville ou à Trouville ? Elle ne le savait
plus. Et qu'importe, elle disait « je m'en fiche » car le
temps lui avait joué des tours. Ils s'étaient laissé piéger à ce
voyage, une seule et unique fois.
La
mémoire nous trompe, nous nous mentons à nous-mêmes de façon si
parfaite que nous pouvons ramener brusquement le temps d'hier à
celui d'aujourd'hui ; alors que tout est illusion.
Comment
peut-on arriver à effacer ainsi les jours et les années ?
Hiver (les séparations
et les deuils).
Les
saisons froides de sa vie, éclairée par une faible luciole, une
fine étoile, ont condensé les séparations, les deuils, les jours
gris ou noirs en de multiples gouttes d'eau qui dégoulinent sur la
vitre glacée des douleurs.
Enfant,
les deuils étaient des spectacles respectables, de sa famille autour
d'un aïeul, d'une effervescence solidaire, d'une onde qui venaient
s'abattre sur le groupe familial.
Mais
c'est de plein fouet, avec une rare violence qu'elle avait ensuite
encaissé, apprivoisé les disparitions brutales et soudaines de
parents proches et d'amis.
Chaque
fois, il fallait réapprendre la vie, à se réchauffer au feu de
bois lorsqu'il pleut ou que la neige éloigne de tout et étouffe
chaque bruit.
Continuer
de croire, faire semblant ? Elle ne pouvait se leurrer, se mentir,
jouer à. Même si le mensonge tentait de s'immiscer dans ses
sourires ou ses convictions, elle continuait à croire avec force à
la véracité des mirages dans le désert, à la lumière au bout du
tunnel, à l'étoile polaire dans la nuit.
De
nombreux signes s'écrivaient pour elle, désormais indéracinables
comme le chêne auprès duquel elle allait retrouver ses racines et
ses raisons d'être.
Et
les mensonges zélés de son entourage n'atteignaient pas ses
fondements.
Printemps.(La boucle
est bouclée).
Fallait-il
que les saisons rythment sa vie ?
Serait-
ce enfin l'ultime? Celle de l'envol ? De la douceur de vivre, du
chant des oiseaux, des reflets verdoyants des champs et de la beauté
des paysages qui l'entouraient?
Oui,
c'était cela.
Les
mensonges passés s'effilochaient et la tranquillité lumineuse d'une
vie à moitié accomplie envahissait ses jours.
Un
printemps naturel et spirituel coulait dans ses veines, irriguait ses
membres pour la porter sue les routes de pèlerinage, les chemins,
non pas d'exil mais ceux d'une renaissance.
La
boucle se bouclait : le printemps des origines.
La fin. La fugue.
Faux
! Tout est faux !
Elle
entendit cette voix balayer du haut de son savoir ses quatre saisons,
effacer les pages écrites.
La
vérité ? C'est qu'il y a une autre saison, celle qui efface tout ce
qui précède, celle qui abolit le temps, les serments, les
mensonges, les traîtrises et petites lâchetés quotidiennes, la
douleur, le ressentiment, celle qui érode les pics d'une vie.
Tout
est faux.
Tout
n'est que fadaises en tout genre.
Tout
est illusion.
Le
vernis se craquelle, le monstre sort et l'appelle, celui qui, enfant,
la terrorisait, la gueule ouverte.
Il
ne pourrait à présent ni transformer, ni posséder ce qui la
constituait :
amour,
prières, solitude, calme, le clair détachement de son existence
d'ermite.
Et
là, point de mensonges.